Un dialogue social en tension
Les récents échanges entre une direction d’établissement et un CSE, accompagnés par un expert libre, illustrent cette dérive : le glissement progressif d’un dialogue constructif vers une forme de contrôle managérial des instances représentatives.
Une confusion persistante des rôles
Dans cette situation, la direction estime « légitime » d’intervenir dans les décisions du CSE concernant la gestion des activités sociales et culturelles (ASC), invoquant un prétendu « droit de regard ».
Or, le Code du travail est clair : selon l’article L.2312-78, la gestion des ASC relève exclusivement du CSE.
L’employeur, même président de droit du comité, ne peut ni réglementer ni s’opposer aux critères d’attribution décidés par les élus.
L’article L.2312-5 précise en outre que toute ingérence de l’employeur dans les prérogatives du CSE constitue une atteinte à son indépendance. La jurisprudence (Cass. soc., 19 mai 2021, n°19-23.560) confirme ce principe : le comité agit librement, dans l’intérêt collectif des salariés.
Pourtant, dans bien des entreprises, la frontière entre présidence du CSE et pouvoir hiérarchique s’amenuise. Sous couvert de "sécurisation juridique", certains dirigeants tentent de reprendre la main sur le budget des œuvres sociales, privant les élus de leur autonomie réelle.
L’expert libre, une cible de choix
Dans ce contexte, la figure de l’expert libre – tel qu’il est prévu par l’article L.2315-81 du Code du travail – dérange.
Son rôle est d’accompagner les élus dans la compréhension du droit, la sécurisation des décisions et la structuration de leur gouvernance.
Mais dans les faits, cet accompagnement indépendant suscite parfois des tensions : l’expert devient alors la cible d’une forme de disqualification, accusé d’ingérence ou d’illégitimité.
Cette stratégie, observée dans plusieurs entreprises, vise un objectif clair : affaiblir le conseil du CSE pour mieux influencer l’instance.
Derrière cette remise en cause, se cache une logique de contrôle : une direction qui choisit son interlocuteur, choisit aussi le niveau de contradiction qu’elle accepte.
Les œuvres sociales : un levier d’influence économique
Il ne faut pas se voiler la face : pour certaines directions, maîtriser le budget des ASC, c’est maîtriser une part du climat social de l’entreprise.
Offrir des cartes cadeaux, des séjours ou des avantages aux salariés n’est pas anodin : cela permet de "faire passer la pilule" d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), d’une restructuration ou d’une réorganisation douloureuse.
En se présentant comme « grand prince » dans la distribution des avantages, certains présidents de CSE cherchent à adoucir les conséquences économiques de leurs décisions.
Mais cette générosité intéressée, souvent financée par les budgets du CSE, affaiblit la confiance dans le dialogue social et détourne les ASC de leur vocation première : l’équité et le bien-être collectif.
Former pour comprendre, comprendre pour dialoguer
Ce cas rappelle l’urgence d’une formation systématique des élus du CSE.
L’article L.2315-63 du Code du travail reconnaît le droit à la formation économique, sociale et syndicale pour exercer son mandat.
C’est un droit essentiel pour garantir :
une lecture claire des textes juridiques ;
une gestion conforme aux règles de l’URSSAF ;
et une indépendance réelle vis-à-vis de la direction.
Sans cette compétence, les élus deviennent vulnérables, dépendants des interprétations unilatérales de la direction, et le dialogue social se transforme en simple monologue managérial.
Redonner du sens au mot "dialogue"
Les élus doivent être formés, accompagnés, et soutenus par des experts indépendants pour retrouver cette force d’équilibre face à la direction.
L’indépendance n’est pas une posture de défiance : c’est une condition de sincérité du dialogue social.
À retenir :
En 2025, l’avenir du dialogue social dépend de la capacité des élus à se former et à préserver leur autonomie.
Là où l’expert libre est écarté, le dialogue devient gestion ; là où il est reconnu, le dialogue redevient social.