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Que faire face à un suicide dans votre entreprise ?

Un suicide est un événement traumatisant pour l'organisation. Quelles sont les mesures à prendre et les erreurs à éviter ? Les réponses de Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet Technologia avec le concours des docteurs Palazzi, Médecin Psychiatre, et Font-Thiney, Médecin Psychopathologue, ainsi que Gérard Bregier, Ingénieur prévention.



En France, pour toutes les entreprises aujourd’hui, la survenue d’un suicide en leur sein constitue un évènement majeur générateur de déséquilibres. En fonction de l’impact et des conséquences que cet acte de désespoir peut créer, en interne comme à l’externe, une crise plus ou moins grave peut survenir.

La mort, quand elle survient de manière brutale, déstabilise et entraîne obligatoirement des questionnements pour les salariés et le management. Elle peut générer aussi des troubles chez ceux qui demeurent, voire participer à la fragilisation d’autres salariés.

Pour empêcher ou résoudre la crise potentielle, il convient de mettre en place un plan d’actions et de communication adapté. Il faut noter, que les incidences tout comme les modalités de prévention et de traitement de ces drames, seront différentes en fonction de la taille de l’entreprise, du secteur privé ou du secteur public.

L'encadrement doit se former pour ne pas "subir" la crise
Le traitement d’une telle situation demande à l’entreprise une forte capacité réactive et une prise de décision rapide et éclairée. Il convient de percevoir clairement les priorités et prendre les décisions adaptées aux circonstances afin de ne pas renforcer la crise. La mise au point d’un plan d’urgence pour faire face à l’éventuel suicide d’un collaborateur devient donc une nécessité pour l’entreprise.

Quand la tentative de suicide « réussit », il est nécessaire d’accompagner les proches du salarié décédé. Pour aider les proches, il est souhaitable de leur permettre d’exprimer leurs émotions puis de les amener à accomplir, par la réflexion et le soutien, une démarche de compréhension qu’ils n’ont pu faire auparavant.

Monter une cellule de crise
Cette cellule de crise doit pouvoir traiter tous les traumatismes qui peuvent survenir dans l’entreprise : suicides, infarctus, accident mortel. Dans les grandes firmes, la cellule de crise doit être composée de :
Un manager : soit le DG, soit le DRH, soit les deux avec une répartition précise des rôles et fonctions.
Le médecin du travail. En ce qui concerne le service de santé au travail, il y a plusieurs cas de figure : service autonome, service semi autonome ou service externe. Bien entendu, en fonction du statut et de sa disponibilité, l’implication du médecin du travail ne sera pas la même.
Si possible, le médecin du travail devra être assisté par un psychologue, surtout s’il n’est pas formé à la problématique des risques psychosociaux.
L’assistante sociale si elle est présente. Pour les entreprises de taille modeste, le chef d’entreprise assisté du médecin du travail (et d’un psychologue).

Elaborer un plan d'action
Cette cellule de crise devra être capable de lancer et de développer des actions simultanées :

Se réunir très rapidement dans l’extrême urgence et se répartir les tâches à accomplir. Les personnes devront donc être choisies en fonction aussi de leur capacité d’intervention qui suppose une certaine proximité et une latitude opérationnelle.

Prendre en charge le corps de la victime. Dans l’attente des premiers secours, la soustraire aux regards. Mener toutes ces actions avec humilité, précaution et respect.

Faire établir par un médecin généraliste, le constat de décès, ne pas mentionner dans la déclaration, l’origine suicidaire.

Prendre soin des personnes qui ont été à l’origine de la découverte du corps. Nous avons constaté que souvent les responsables des services de sûreté/sécurité étaient les premiers arrivés sur le lieu du drame. Cette remarque incite donc à mettre dans la boucle de la communication les sociétés de service qui sont les employeurs en sous-traitance. En effet, leurs salariés seront affectés et très souvent les premiers interrogés par les différents services d’enquête.

Décider quelles actions de communication mettre en place, notamment en direction des salariés proches et moins proches, et de la famille. La cellule de crise devra les mettre en œuvre dans les heures qui suivent le constat du drame.

Désigner un correspondant pour les membres de la famille : DG ou DRH. Il devra prendre l’attache des membres de la famille pour organiser une rencontre au mieux, soit en se déplaçant, soit en invitant les membres de la famille, en prenant en charge leurs frais de déplacement.

Réunir les représentants du personnel (DP et/ou CHSCT) et ouvrir un débat authentique avec eux.

Réunir les plus proches collaborateurs de la victime de manière quasi-spontanée. Organiser la réception de chacune d’entre elles par le médecin du travail assisté du psychologue.

Rédiger la déclaration d’accident de travail si le suicide a eu lieu dans l’entreprise. De façon pratique, elle devra commencer à réunir les éléments, et mettre en place pour tenir à jour un dossier, strictement confidentiel, qui rassemblera toutes les pièces liées à cet évènement : copie complète du dossier personnel de la victime (tout en préservant bien le secret médical), coupures de journaux, tracts syndicaux, notes de service, vomptes-rendus ou procès-verbaux de réunion, etc...

Informer les différents services concernés de l’état et de la sécurité sociale : les services de Police, le service Prévention de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie, l’inspection du travail voire les médias.

Prévoir les évolutions éventuelles et les répercussions à la suite de cette disparition : exemple vis-à-vis d’éventuels clients…

Engager les actions pour le cas échéant et réaliser une enquête approfondie sur les causes et les conditions du suicide en associant les représentants du personnel (enquête CHSCT).

Préparer dans le détail et participer aux enquêtes officielles (Police, CRAM, Inspection du Travail). Il est primordial de bien préparer celles-ci car la superposition des différentes démarches peut occasionner un rejet ou une lassitude des salariés interrogés. La cellule de crise prendra le temps d’expliquer à chacun les différentes démarches en cours dans leur spécificité, les statuts divers des enquêteurs, les enjeux et résultats à attendre de ces enquêtes.

Il est frappant de voir la symbolique qui s’attache parfois aux lieux. Ainsi dans une entreprise, un salarié s’est suicidé selon le même protocole qu’une précédente victime 5 ans auparavant… Il semble important, même symboliquement, de prévoir parfois des travaux pour modifier et rénover les locaux dans lesquels un drame est survenu. Bien entendu, la rénovation des locaux ne garantit pas que l’acte n’aurait pas eu lieu mais tout au moins, cela reste un signe positif en direction des salariés proches. Cet aspect souligne l’importance de l’ergonome et de l’architecte pour appréhender certains lieux pouvant être potentiellement pathogènes.

La cellule de crise doit rendre compte du suivi de ces actions tant à sa hiérarchie qu’aux représentants du personnel.

Le rôle des managers
Dans cette turbulence émotionnelle, le manager à un rôle incontournable. Il est nécessaire dans les grandes entreprises de bien distinguer :
Le manager qui assume une responsabilité en raison d’un mandat social. Il incarne alors physiquement, en quelque sorte, la personne morale qu’est l’entreprise. Il peut donc subir les désagréments d’une mise en examen au titre de ce mandat social.
Un manager qui n’a pas cette responsabilité.

Le mandataire social au cours de cette épreuve va subir un certain nombre d’interrogatoires. Les différentes enquêtes, l’éventuelle mise en examen qui est toujours très redoutée, peuvent profondément déstabiliser. En effet, les enquêtes s’ajoutent les unes aux autres et peuvent provoquer lassitude voire agacement, scepticisme ou même rejet et dénonciation, quand ce n’est pas la violence verbale. Le mandataire social peut voir son image personnelle altérée.

De plus, il suffit que le drame connaisse une forte médiatisation pour que le nom du mandataire social soit associé à la souffrance ressentie par les proches de la victime… Le mandataire social qui agit le plus souvent par délégation de pouvoir, avec un statut de salarié, ne doit pas être laissé seul pour faire face à ces différents questionnements qui se chevauchent. Il doit être assisté, sans doute par un conseil juridique pour ce qui est de la défense des intérêts de l’entreprise et de ses propres intérêts mais surtout par une personne en soutien psychologique.

Avec la famille
Le correspondant qui a été désigné, si possible un membre de la Direction ou de l’encadrement du service de la victime, a une mission délicate à remplir pour assurer au mieux une mission essentielle de représentation de l’entreprise. Il devra prendre rapidement contact avec la famille et rendre des visites pour assurer un soutien moral et proposer si possible un soutien matériel, notamment pour les démarches administratives. Les constats que l’on a pu faire lors d’interventions :

Très souvent, les familles n’ont pas été reçues directement par un manager. Quand elles l’ont été, c’est souvent par des personnes interfaces insuffisamment informées pour répondre aux questions concrètes des familles et des proches. Cette façon de faire a eu pour conséquences d’accentuer les douleurs et les ressentis négatifs. Les familles n’ont pas admis que le management ne prenne pas le temps de la parole et du partage de cette douleur.

Très souvent, les problèmes ont porté sur une problématique de logistique morbide qui n’a pas été pensée au préalable et encore moins mise en œuvre. Il a été parfois difficile pour les familles de récupérer les affaires de la victime. Là encore, les entreprises ont généré des frustrations, l’irritation, de la colère.

Des réponses précises, qui auraient pu permettre de mettre en évidence la dimension humaine de l’entreprise, n’ont pas été apportées : Comment se passe la question de la fiche de salaire et des rémunérations dues ? Concrètement, quel est l’intérêt que ce drame soit reconnu ou pas comme accident du travail ? L’entreprise va-t-elle participer ou prendre en charge les frais de la cérémonie ? Qui peut venir à la cérémonie funèbre ? Le DG ou le DRH seront-ils présents à la cérémonie ? Les salariés proches peuvent-ils venir ? Auront-ils l’autorisation d’absence indispensable de la part de l’employeur ? Un budget fleurs est-il prévu ? Possible ?

Avec les collaborateurs
La question qui se pose immédiatement est celle de la réception des salariés proches de la victime. Il nous semble important d’ouvrir une possibilité de rencontre de manière systématique. Certes, il n’y a pas d’obligation mais une forte incitation à participer à une rencontre. Ceux qui ne désirent pas assurer cette rencontre peuvent alors le manifester en déclinant cette offre. Mais, il est important de ne laisser personne dans l’isolement.

Il paraît essentiel de faire travailler le groupe par expression orale afin que les émotions s’apaisent. Le médecin du travail peut animer cette première réunion et celles qui suivront à la condition qu’il ait une bonne formation psychologique, sinon il doit se faire aider par un psychologue ou psychiatre afin que son image de médecin du travail ne soit pas mauvaise ou dégradé, et éviter ainsi un rejet ou des interférences malvenues.

Il convient de recentrer les émotions en les centrant sur le travail. Ce « déversement » peut être compris comme un moyen d’évacuer, par la parole autorisée, les fortes émotions. Dans ce groupe de travail, le manager ne doit pas être présent afin de permettre la liberté de parole. En revanche, les salariés N–1 ou les sous-traitants peuvent être admis. Le groupe qui recentre sur ce qui fait sens, à savoir le travail peut se réunir plusieurs fois. Il est essentiel que la première réunion intervienne très vite après le drame. Un suivi peut s’opérer sur environ 8 semaines. Il convient de revoir les membres du groupe, les proches collègues, avant la fin des deux mois.

La mise en place d’une structure de soutien psychologique pour les collaborateurs les plus proches de la victime peut être indispensable.

Une communication adaptée, tant en interne qu'en externe
La communication est un enjeu fort pour bien appréhender la crise qui vient de s’ouvrir. Pour la conduire, il conviendra de désigner un référent unique qui devra gérer tous les aspects de la problématique. Le Responsable RH peut mener les deux dimensions internes et externes. Plusieurs questions subsistent :
Que dire ?
Que ne pas dire ?
Comment, pour les managers, ne pas se mettre en difficulté en provoquant des réactions en raison de propos mal maîtrisés ou d’écrits mal adaptés ?
Comment maîtriser la question judiciaire et gérer, à travers la communication, le problème de la réparation et de l’éventuelle mise en cause de la responsabilité ?

Les exemples que nous avons vécus montrent les écueils à éviter. Très souvent, les dirigeants sont dans le déni ou tout au moins dans la minoration maladroite. Il nous semble plus adapté de :
Prendre acte de la gravité de l’acte qui vient de se passer.
Etablir une description économe des circonstances de survenance.
Assurer une dimension humaine, et de respect dans le traitement de l’information.
Défendre la confidentialité comme position éthique (attention, la confidentialité n’est pas le secret).
Ne pas livrer la vie de la victime en pâture aux médias.
Garantir dès le départ que l’acte suicidaire donnera lieu dans les meilleurs délais à une analyse approfondie pour en tirer les enseignements (ne pas banaliser le drame).

Parfois quand une personne se suicide, le malaise peut être plus général. Aussi, le manager doit préciser (au risque de se répéter) que cet acte va conduire à une véritable réflexion en interne pour bien comprendre ce qui a pu se passer et en tirer tous les enseignements. Le manager doit laisser clairement entendre qu’un plan d’actions sera mis en place à la suite de ce suicide.

De plus, il ne paraît pas utile dans un premier temps d’aborder les questions de la qualification de l’acte en accident du travail. L’entreprise donnerait alors l’impression de « chipoter » ou de fuir ses responsabilités. Entrer dans un débat technique et juridique (exemple la présomption d’imputabilité !) alors que le choc est encore dans toutes les mémoires est malvenu.

Une communication brève devra satisfaire à la pudeur. Elle devra être en interne diffusée aux différents niveaux de l’établissement, de la société, de la hiérarchie, de l’ensemble des IRP, des services de santé au travail, des services de prévention des risques, et bien entendu des salariés.
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Lundi 15 Décembre 2008 - 11:01
Jean-Claude Delgenes, DG du cabinet Technologia

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