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Les incertitudes d'un dialogue social 'sur-mesure'



Les incertitudes d'un dialogue social 'sur-mesure'
Le projet de loi "en faveur des revenus du travail", en cours de discussion devant le Parlement, n'a pas pour seul objectif de vouloir augmenter le pouvoir d'achat des salariés, grâce au développement de l'intéressement et de la participation. Il vise aussi à contraindre toute entreprise à ouvrir une fois par an des négociations salariales sous peine de voir ses exonérations de cotisations sociales diminuées de 10 %. Une obligation qui existe déjà mais qui n'est pas respectée, estime le gouvernement, décidé à renforcer le dispositif. Cette nouvelle initiative confirme, en tout cas, sa volonté de placer l'entreprise au coeur des relations sociales. Depuis le vote de la loi du 20 août 2008 portant "rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail", syndicats et employeurs peuvent ainsi fixer eux-mêmes, par accord d'entreprise dérogatoire, le contingent d'heures supplémentaires, les modalités des conventions de forfait annuel en heures et en jours, etc. "A défaut", indique la loi, l'accord de branche s'applique. "Nous approuvons totalement cette tendance : il faut laisser les partenaires sociaux décider des règles les plus adaptées aux besoins de l'entreprise", se réjouit Jean-René Boidron, vice-président de Croissance Plus, association de patrons d'entreprises innovantes.

Cette loi est le dernier avatar d'une marche continue vers la décentralisation de la négociation sociale, lancée en 1982 par les lois Auroux qui autorisèrent des dérogations à la loi, mais aussi aux accords de branche, notamment en matière de modulation du temps de travail. "Une initiative qui a renforcé l'attractivité de la négociation d'entreprise" aux yeux des employeurs, estime Marie-Armelle Souriac, professeur de droit du travail à l'université Paris ouest-Nanterre-La Défense. Alors que jusqu'en 1982, les dérogations ne pouvaient viser que des dispositions plus favorables aux salariés (c'est le principe dit "de faveur"), désormais "on ne se pose plus cette question", ajoute Mme Souriac. L'accord peut ne pas être plus favorable, voire même être défavorable, mais sous certaines conditions. Depuis vingt-six ans, une avalanche de lois, votées sous la gauche comme sous la droite, desserre ainsi de plus en plus l'emprise de la loi et de la branche, au profit de l'entreprise, notamment sur le thème de l'aménagement du temps de travail (ATT). Ces textes s'inscrivent dans la volonté de faire du salarié un citoyen dans l'entreprise, la négociation se substituant au pouvoir unilatéral de l'employeur. Une idée chère à la CFDT, notamment.

Et le mouvement s'accélère. "Depuis 2003, une quinzaine de lois comportant des dispositions sur ce sujet ont été votées", calcule Michel Miné, professeur associé de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). "Au final, l'accord d'entreprise peut fixer l'ensemble des règles du jeu pour certaines dispositions d'ATT." La loi Fillon du 4 mai 2004 sur le dialogue social va marquer un nouveau tournant : elle est la première à rendre autonome l'accord d'entreprise et à consacrer le renversement du "principe de faveur", provoquant de vives critiques de la part de juristes et de syndicats. Peu à peu, les branches perdent ainsi leur rôle historique dans le dialogue social et leur fonction régulatrice dans l'économie d'un secteur. "Ce recul de la branche, ce repli sur l'entreprise, posent un problème en termes de cohésion sociale et de clarté des règles", analyse Mme Souriac. Pour elle, l'ultime étape pourrait être "l'accord direct entre l'employeur et le salarié", le gré à gré déjà pratiqué dans certains pays, comme l'Australie et le Royaume-Uni.

La tendance ne peut, semble-t-il, que réjouir les appareils patronaux toujours prompts à mettre en avant la nécessité d'un dialogue au plus près du terrain. C'est en tout cas l'un des credos de Laurence Parisot, présidente du Medef. Mais les chefs d'entreprise en demandent-ils vraiment autant ? On peut en douter en lisant l'étude "Evaluation de la loi du 4 mai 2004 sur la négociation d'accords dérogatoires dans les entreprises", réalisée pour le ministère du travail fin 2007, et qui vient seulement d'être mise en ligne sur son site. Les auteurs de l'enquête n'ont trouvé aucun accord d'entreprise dérogatoire basé sur cette loi. Comment l'expliquer ? Certes, seulement 20 % environ des accords de branche signés depuis 2004 ne comportent pas de clause interdisant les dérogations défavorables aux salariés. Mais même en l'absence de telles dispositions, les employeurs n'ont pas saisi les opportunités offertes. La complexité de la loi, perçue comme "indéchiffrable", ainsi que la difficulté à définir parfois si une dérogation est favorable ou défavorable aux salariés, ne sont pas les seuls motifs invoqués. "Il est clairement apparu que (...) la faculté de déroger était un enjeu inexistant pour nos interlocuteurs", souligne l'étude coordonnée par Olivier Mériaux, chercheur à Sciences Po Grenoble et directeur de la stratégie du cabinet conseil Amnyos. Surprise : les réticences à déroger ne se situent pas uniquement du côté des organisations syndicales. Du côté des directeurs de ressources humaines (DRH), certains sont "attentifs à ne pas déstabiliser le dialogue social pour des gains limités et incertains", souligne l'étude. "Les petites entreprises n'ont pas eu envie de remettre en cause l'équilibre qu'elles avaient trouvé avec les accords déjà signés, estime Jean-François Veysset, vice-président aux affaires sociales de la CGPME. Ou alors elles ont suivi d'autres voies, des arrangements de gré à gré, plus ou moins légaux."

Plus généralement, "le risque d'insécurité juridique d'un accord dérogatoire gêne beaucoup plus les DRH que la rigidité du droit", constate M. Mériaux. Sylvain Niel, avocat associé du cabinet Fidal, pense que l'échec de cette loi tient au fait que les employeurs "ont découvert qu'elle portait en germe les prémisses d'une cogestion à la française, dont ils ne veulent pas..." Selon lui, la réforme de la représentativité, également inscrite dans la loi du 20 août 2008, va "encore plus geler" le dialogue social en entreprise. Les employeurs, explique M. Niel, craignent qu'un accord dérogatoire signé avec telle ou telle organisation, soit dénoncé après les élections professionnelles suivantes, si d'autres syndicats, opposés à l'accord, sont alors déclarés représentatifs.

Ironie de l'histoire, soulignée dans l'étude, la loi de 2004 a eu pour effet "le renforcement du pouvoir des branches professionnelles sur le statut des salariés", dans le but essentiellement de circonscrire la portée de la loi. Exactement l'inverse de l'objectif recherché par le législateur, qui selon M. Mériaux, "s'est retrouvé prisonnier d'une approche très idéologique". Loin du terrain, donc.
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Mardi 30 Septembre 2008 - 10:07
lemonde.fr, Francine Aizicovici

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