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Le crépuscule de la pétrochimie française

Surcapacités, baisse de la demande, concurrence des pays à bas coûts... Alors que l'industrie pétrochimique affronte un scénario qui ressemble étrangement à celui qu'a connu naguère la sidérurgie, Total enchaîne les plans de restructuration. L'usine de Carling-Saint-Avold ne se fait guère d'illusions sur l'avenir. Et plusieurs autres sites sont aussi sur la sellette.



Le crépuscule de la pétrochimie française
On pensait découvrir un établissement en état de siège. Barrages et braseros, salariés en colère... Mais rien de tout cela à Saint-Avold (Moselle). A la sortie de l'autoroute, le long de la bretelle conduisant à l'usine Total, seule une poignée de banderoles aux couleurs des différentes organisations syndicales rappelle l'actualité du moment : « Le site chimique de Carling doit vivre. » Près de deux mois se sont écoulés depuis l'annonce du « plan de modernisation et de consolidation » de Total Petrochemicals France, et un parfum de résignation flotte sur la plate-forme de Carling. Ici, la restructuration se traduira par l'arrêt d'une ligne de production de polyéthylène et la suppression d'une soixantaine de postes. Un coup dur de plus pour le site lorrain. En septembre 2006, déjà, une précédente réorganisation - pour « la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise », celle-là - prévoyait la suppression de 250 postes. Il avait alors été décidé de fermer un atelier de styrène et surtout d'arrêter l'un des deux vapocraqueurs, le coeur même de l'usine (voir Repères). Les mesures annoncées début mars rendent la pilule un peu plus amère : à l'issue des deux plans, en 2013, moins de 550 salariés travailleront encore à Carling. Ils étaient près de 900 il y a deux ans...

Un vent mauvais souffle sur la pétrochimie française. Depuis un peu plus de dix ans, l'outil industriel hérité des fusions successives entre Total, Petrofina et Elf n'a cessé de se redessiner, au gré des cessions, scissions (celle d'Arkema, en 2004) et restructurations engagées par le groupe pétrolier. Aujourd'hui, Carling n'est pas le seul site malmené. Comme lui, celui de Gonfreville (Seine-Maritime) se prépare à des réductions d'effectif (130 postes) et à l'arrêt de certaines unités. L'usine de Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime), quant à elle, fermera ses portes avant la fin de l'année : elle ne produisait plus que du butanol et vient de perdre son dernier client.

Pourquoi cette hécatombe ? Structurellement, « le secteur est confronté à des surcapacités durables et à une concurrence grandissante, répond Denis Florin, directeur chez BearingPoint. Les pays pétroliers se sont dotés d'unités pétrochimiques très performantes, capables de produire de nouvelles matières à des conditions très compétitives ». « Face à cette nouvelle donne, il y a deux façons de réagir, poursuit le consultant : accompagner les nouveaux projets, ce que Total fait au Qatar ou en Algérie ; et restructurer ses installations. » « Nous réduisons l'emploi en Europe parce que le marché est mature, confirme François Cornélis, directeur général de la branche chimie de Total. L'an passé, nous avons observé une baisse de la consommation de polymères de l'ordre de 10 % et, au mieux, nous espérons retrouver 2 % à 3 % de croissance après la crise... Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en Asie et au Moyen-Orient, la demande progresse de 7 % à 10 % par an ! »

Abandonner les « points faibles »
Des produits qui se vendent moins, de trop nombreuses usines et une compétition de plus en plus vive de la part de pays à bas coûts. Le cocktail est bien connu. Il y a trente ans, les mêmes ingrédients avaient provoqué un bain de sang dans l'industrie sidérurgique européenne. Christophe de Margerie l'assure, c'est pour éviter un tel désastre qu'il s'efforce en permanence d'adapter son outil industriel. « Le plus grand danger serait de ne rien faire, prévient le directeur général de Total, d'attendre d'être dos au mur pour agir, au risque de mettre en péril l'existence même de nos activités industrielles. »

Depuis quelques années, la feuille de route de François Cornélis est donc de faire le ménage. De trier et sélectionner les activités d'avenir. « Pour rester au niveau, notre métier exige des investissements très lourds, des gains de productivité constants, note l'ancien patron de Petrofina. La taille des usines n'arrête pas de grandir. Progressivement, la logique industrielle veut que nous développions nos points forts, mais aussi que l'on abandonne nos points faibles... » A Carling, l'unité de production de polystyrène est par exemple considérée comme l'une des plus performantes d'Europe et doit être « confortée ». Mais, à l'inverse, celle de Gonfreville va être sacrifiée par le nouveau train de mesures. Une forme de darwinisme économique dont plusieurs sites français pourraient faire les frais ces prochaines années. Car chacun en est convaincu : la restructuration de la « pétro » française est loin d'être terminée. Par petites touches, et toujours en profitant de la pyramide des âges, Total continuera d'élaguer la branche.

La crise noircit encore le tableau
Au sein du groupe, on n'hésite même plus à tracer le portrait-robot du site idéal : une très grande usine, très compétitive, de préférence intégrée à une raffinerie pour optimiser son approvisionnement en produits pétroliers, et surtout, surtout, une installation proche de la mer, pour avoir des facilités d'exportation. « Cherchez l'erreur... », grince un syndicaliste. A eux seuls, ces critères suffisent en effet à condamner des sites comme Carling ou Feyzin (Rhône), que Total partage avec le chimiste belge Solvay. Mais d'autres nuages obscurcissent l'horizon et pourraient conduire le pétrolier français à prendre des décisions douloureuses plus vite que prévu.

Il y a d'abord la crise, dont l'impact a peut-être été sous-estimé en interne. Mi-avril, les syndicalistes maison sont ressortis d'un comité de groupe persuadés que de nouvelles mesures étaient à l'étude. « La baisse de la demande mondiale est telle que l'industrie pétrochimique risque de se retrouver surcapacitaire même en Asie et au Moyen-Orient, note François Pelegrina, délégué fédéral CFDT. Or il n'est évidemment pas question de fermer les installations performantes qui viennent d'être mises en service dans ces régions. Tôt ou tard, elles vont venir alimenter le marché européen. » « Et ce qu'on démarre au Qatar viendra concurrencer la production de Carling... », résume Alain Bernard, délégué syndical central CFDT de Total Petrochemicals France. A l'horizon 2013, le complexe pétrochimique d'Arzew, en Algérie, devrait lui aussi démarrer, souligne Charles Foulard, de la CGT. Sa production aura d'autant moins de mal à pénétrer le marché européen que, d'ici là, le Port autonome de Marseille se sera doté de nouvelles capacités d'importation. A cela s'ajoute une éventuelle redistribution des cartes si le partenariat noué avec Ineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône) venait à évoluer : « Si un jour Total reprend 100 % de l'usine de Lavéra, il disposera d'un site superperformant et pourra fermer dans la foulée la raffinerie de Provence, Feyzin et même Carling », prédit un syndicaliste.

Sur la plate-forme de Saint-Avold, le danger d'une fermeture est intégré depuis longtemps. « Ici, la majorité des gens a compris que les activités du site n'avaient aucun avenir », reconnaît un salarié. « Malheureusement, les difficultés de Carling sont inscrites dans ses gènes, souligne le directeur de l'usine, Claude Lebeau. Le site est le reflet d'une époque où les unités étaient implantées pour faire naître des bassins d'emploi sans souci des synergies industrielles. C'est un peu le drame de la pétrochimie en France... »

Deux clients seulement
Alors, sur place, certains pronostiquent une fermeture du dernier vapocraqueur dès 2013, à l'occasion de son prochain arrêt quinquennal. Aujourd'hui, la survie de l'installation est suspendue à ses deux seuls clients : le voisin Arkema, qu'elle approvisionne en propylène, et l'usine Ineos de Sarralbe, à une trentaine de kilomètres, qui lui achète de l'éthylène. « Le fait qu'une grande partie des débouchés dépende de parties tierces pose un réel problème », observe Claude Lebeau. Sur le papier, Arkema s'est engagé jusqu'en 2019 et, s'il devait être dénoncé, le contrat signé avec Ineos ne pourrait l'être qu'avec un préavis de quatre ans. « Mais si nos clients trouvent un autre moyen de s'approvisionner, Carling sera en danger », reconnaît le responsable. Or ces deux clients soutiennent un projet de pipeline susceptible de les alimenter sans passer par Saint-Avold et Arkema travaille sur un procédé qui lui permettrait de produire de l'acrylique sans propylène... Pour Khalid Benhammou, c'est certain, « le temps de la reconversion est venu ». « A terme, il n'y aura plus de pétrochimie ici, concède ce représentant local de la CFE-CGC. Nous souhaitons juste que les emplois du bassin soient préservés, grâce à une activité d'avenir. Le solaire peut répondre à cette attente et, de ce point de vue, l'investissement annoncé dans une unité de fabrication de plaquettes de silicium est un signe encourageant. Mais cela ne suffira pas.Total ne peut pas repartir d'ici en laissant un désert... »
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Mardi 5 Mai 2009 - 08:46
Les Echos

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27/08/2014