Une approche par les risques : utile mais limitée
L’approche développée par l’INRS identifie les facteurs de risques psychosociaux tels que la charge de travail, l’exigence émotionnelle, le manque d’autonomie, les conflits de valeurs ou encore l’insécurité de la situation de travail ( voir lien ).
Cette grille est utile. Elle permet d’objectiver des déterminants organisationnels souvent invisibilisés dans les diagnostics classiques. Elle donne aussi des leviers d’action pour les employeurs soucieux de respecter leurs obligations.
Mais cette approche instrumentale présente aussi des effets de cadrage :
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Elle individualise parfois la souffrance, en réduisant la santé mentale à une question d’exposition au risque.
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Elle tend à évaluer le travail “de l’extérieur”, sans donner la parole à ceux qui l’exécutent.
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Elle sectorise la prévention dans une logique de conformité, au détriment d’une pensée globale sur le sens, les valeurs, ou l’utilité du travail.
La santé mentale, un objet plus large, plus vivant
Parler de santé mentale au travail, c’est opérer un déplacement. Non pas pour nier les risques, mais pour interroger la dynamique psychique dans laquelle s’inscrit l’activité professionnelle.
La santé mentale ne peut se résumer à l’absence de trouble. Elle suppose la possibilité, pour le sujet, d’agir, de penser, de s’exprimer, de transformer la réalité du travail – parfois même au prix de conflits, de négociations ou de résistances constructives. Elle est liée au pouvoir d’agir, au sentiment d’utilité, à la reconnaissance et au dialogue.
En ce sens, la santé mentale est intimement liée à la qualité du travail et à la possibilité pour les collectifs de le discuter.
Une obligation juridique qui engage une responsabilité collective
Le Code du travail, dans son article L.4121-1, est sans ambiguïté :
“L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.”
Cette obligation générale de sécurité ne se limite pas aux accidents du travail ou aux risques physiques. Elle inclut expressément les atteintes à la santé mentale, même lorsqu’elles ne donnent pas lieu à un arrêt ou à une reconnaissance en maladie professionnelle.
Plus encore, la jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises que cette obligation est de résultat : il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention adaptées (information, évaluation, action).
Mais au-delà de l'obligation légale, c’est une responsabilité humaine et organisationnelle qui se joue : comment créer les conditions d’un travail qui ne détruit pas, mais qui construit ?
Changer de regard sans imposer de vérité
Il ne s’agit pas ici d’opposer deux logiques – celle des RPS et celle de la santé mentale –, ni d’en décréter la supériorité d’une sur l’autre. Il s’agit plutôt d’ouvrir un espace de pensée.
Et si, au lieu de se demander seulement “quels sont les risques ?”, on se demandait aussi :
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Qu’est-ce qui fait santé dans le travail ?
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Qu’est-ce qui permet à chacun de rester sujet de son activité ?
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Qu’est-ce qui donne envie de s’impliquer sans se perdre ?
Ce changement de paradigme ne se décrète pas. Il se construit. Il suppose de croiser les regards – juridiques, psychologiques, sociologiques – et de redonner une place centrale à la parole des salarié·es sur leur propre travail.
Parler de santé mentale au travail, c’est finalement poser une question simple mais fondamentale :
➡️ Quel travail voulons-nous défendre ?