Introduction
La santé mentale au travail est devenue un enjeu prioritaire, à la croisée des politiques de prévention, des dynamiques managériales et du dialogue social. Les troubles anxieux, en particulier, affectent de manière croissante les salariés, avec des conséquences lourdes tant sur le plan humain qu’organisationnel. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), près d’un actif sur quatre présente un trouble psychique commun (anxiété, dépression) au cours de sa vie professionnelle. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA, 2022) insiste quant à elle sur le rôle fondamental des managers dans l’identification et la prévention des risques psychosociaux.
Or, le manager n’est ni clinicien, ni psychothérapeute. Il est pourtant souvent le premier témoin d’une situation de mal-être. Dès lors, comment agir de manière ajustée et efficace, dans le respect du droit et de la personne ?
Santé mentale et organisation du travail : une responsabilité systémique
1.1. Comprendre la santé mentale au travail
L’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2022) définit la santé mentale comme un état de bien-être dans lequel un individu peut réaliser son potentiel, faire face aux tensions de la vie, travailler de manière productive et contribuer à la communauté. Cette définition implique que le travail, selon ses caractéristiques, peut être soit un facteur de protection, soit un facteur de risque.
Les travaux de Christophe Dejours (2015), en psychodynamique du travail, montrent que le travail peut être source de souffrance lorsqu’il existe un empêchement à bien faire, une perte de sens ou un déficit de reconnaissance. À l’inverse, Yves Clot (2010) évoque la possibilité d’une « santé par le travail », dès lors que l’organisation soutient la capacité d’agir et la coopération.
1.2. L’augmentation des troubles anxieux en milieu professionnel
La DARES (2023) a constaté une augmentation significative des arrêts de travail liés à des troubles psychiques, en particulier post-COVID. Les troubles anxieux généralisés, les troubles paniques, ou encore les états de stress post-traumatique sont fréquemment évoqués dans les consultations de médecine du travail (INRS, 2022).
Ces troubles sont souvent le reflet d’une désorganisation du travail : surcharge, conflits de valeurs, pression temporelle, ou insécurité de l’emploi. La prévention doit donc être pensée à l’échelle de l’organisation, et non réduite à une prise en charge individuelle.
2. Signaux faibles : repérage et vigilance managériale
2.1. La reconnaissance des signaux faibles
Un collaborateur en situation de détresse psychique ne s’exprime pas nécessairement sur sa souffrance. Il manifeste d’abord des changements subtils dans son comportement : irritabilité, repli sur soi, perte de motivation, erreurs fréquentes, fatigue chronique, conflits interpersonnels...
Ce sont ces signaux faibles que le manager doit savoir identifier. La recherche conduite par Marie Pezé dans le cadre du réseau « Souffrance et Travail » met en lumière l’importance de ce repérage en amont, pour éviter la bascule vers un effondrement psychique.
2.2. Les limites du rôle managérial
Cependant, comme le rappelle la Haute Autorité de Santé (HAS, 2018), le manager n’a pas à poser de diagnostic, ni à intervenir comme un thérapeute. Il doit simplement :
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Observer,
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Créer un espace de parole sécurisé,
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Orienter vers les bons interlocuteurs.
Cette posture suppose une formation spécifique, encore trop souvent absente du parcours de professionnalisation managériale.
3. Prévenir sans soigner : la juste posture du manager
3.1. Les trois piliers de l’action managériale
Les retours d’expérience dans les entreprises engagées dans des politiques de QVCT (Qualité de Vie et des Conditions de Travail) convergent autour de trois axes d’action pour les managers :
a. L’écoute active
Créer les conditions d’un échange sincère, dans un cadre confidentiel, sans jugement ni banalisation.
b. L’orientation
Informer sur les ressources internes (médecine du travail, RH, référent handicap, psychologue interne…) et encourager la prise de contact volontaire.
c. L’ajustement du cadre de travail
En lien avec les préconisations du médecin du travail, il est possible d’envisager des aménagements : temps de pause plus fréquent, télétravail ponctuel, allègement temporaire de charge.
⚠ Attention : toute adaptation du poste doit être formalisée et tracée, pour éviter une exposition juridique (voir Cass. Soc. 1er juin 2016, n°14-28.293).
3.2. Le manager, relai de la prévention primaire
Le rôle du manager s’inscrit dans la logique de la prévention primaire, c’est-à-dire celle qui agit sur les causes organisationnelles des troubles. Il peut :
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Participer à l’analyse des situations à risques,
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Contribuer à la mise à jour du DUERP,
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Coopérer avec les élus du CSE et les membres de la CSSCT pour construire une culture de la prévention.
4. Cadre juridique : obligation de sécurité et dialogue social
L’article L4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation inclut la formation, l’organisation du travail, la charge mentale, et les modalités managériales.
La jurisprudence constante rappelle que cette obligation est renforcée lorsqu’un signal d’alerte a été remonté sans réponse (ex. : Cass. Soc., 8 juin 2011, n° 09-42.241).
Le CSE joue ici un rôle structurant. Il peut :
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Déclencher un droit d’alerte pour atteinte à la santé physique ou mentale (art. L2312-59),
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Demander une expertise RPS (art. L2315-94),
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Être consulté sur les réorganisations susceptibles de générer du stress.
Conclusion
Le manager n’est pas un thérapeute, mais il est un acteur-clé de la prévention. Lorsqu’il adopte une posture d’écoute, de repérage et d’orientation, il devient un maillon essentiel d’un collectif de travail protecteur. C’est en articulant les compétences de chacun – managers, RH, CSE, SPSTI – que l’entreprise peut réellement faire de la santé mentale un pilier de sa stratégie sociale.
Parce qu’il n’y a pas de performance durable sans santé mentale, il est temps de former les managers à voir, entendre, et agir autrement.
Références bibliographiques
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Dejours, C. (2015). Travail vivant – Tome 1 : Sexualité et travail. Paris : Payot.
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Clot, Y. (2010). Le travail à cœur – Pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris : La Découverte.
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INRS (2022). Troubles psychiques et travail : état des lieux et pistes d’action.
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EU-OSHA (2022). Les risques psychosociaux en Europe – Rapport de synthèse.
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Haute Autorité de Santé (2018). Prévention des troubles anxieux en milieu de travail.
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DARES (2023). Arrêts maladie pour troubles psychiques : données et analyses.
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Code du travail, articles L4121-1 à L4121-5, L2312-59 et L2315-94.