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'La gestion du stress est une invention d'auditeurs d'entreprise...'

Le travail, c’est la santé ? Pas pour tout le monde… Le médecin Dominique Huez, auteur de "Souffrir au travail", a répondu aux questions des metronautes.



'La gestion du stress est une invention d'auditeurs d'entreprise...'
Bonjour à tous. Je répondrai à vos questions à partir de ma posture de médecin du travail, et citoyen ayant quelques convictions humaniste.

El : Bonjour, depuis combien d'années êtes vous médecin du travail et où officiez-vous?
J'exerce la médecine du travail depuis plus de 30 ans, ces 25 dernières années en centrale de production éclectique nucléaire. Mais je m'appuie sur une expérience de réseau avec de nombreux médecins du travail et j'ai tenu un temps la consultation de psychopathologie professionnelle au CHU de Tours.

Alex : Quelle différence entre souffrance et burn out?
La souffrance est un affect douloureux et on parle de souffrance au travail pour la nommer. On ne préjuge pas de son devenir: décompensation mentale, somatique, désengagement professionnel etc. Le Burn-out est un effondrement émotionnel et du pouvoir d'agir, décrit dans les milieux de soin et les professions sociales. Après avoir tout et trop donné, les personnes perdent la capacité de penser leur situation professionnelle, se sentent responsables et peuvent retourner la responsabilité contre eux-mêmes au risque de leur santé.
Veine : Les conditions de travail sont-elles vraiment moins dures aujourd'hui qu'autrefois? La pénibilité des taches n'a t'elle pas été atténuée par les techniques modernes?
S'il est exact de dire que certaines pénibilités physiques et des pollutions environnementales des atmosphères de travail sont aujourd'hui moins importantes, globalement rien n'autorise à dire que les conditions de travail sont moins pénibles qu'autrefois, si on entend par conditions de travail, les conditions organisationnelles, leurs conséquences relationnelles et sociales, leurs impacts sur la vie en société, la façon dont elles déteignent sur la vie familiale.

Fred : À quoi attribuez-vous les nombreux suicides chez des groupes comme Renaud ?
La dégradation des conditions de travail est liée à la fois à la conjonction des contraintes industrielles et de rapport avec le public, et aux conséquences des nouveaux modes de management qui isolent, évaluent les comportements, l'être, le paraître, et fait l'impasse sur le travail et le "travailler" avec autrui. A Renault au Tecnocentre, cela s'est vu parce que il y a plus de 10.000 personnes et que ce sont des cadres. Les suicides touchent surtout des personnes hyper engagées dans leur travail, qui isolées et culpabilisées, amenées à devoir faire ce qu'elles réprouvent, ne voient plus d'autres issues que leur propre disparition. Les ressorts psychiques en sont la peur et surtout la honte. Il n'est généralement pas exact dans ces conditions que les suicides touchent des personnes plus fragilisées, et que "leur fragilité" aurait pu être détectée antérieurement.

em12 : Un de mes collègues boit au travail. Il se cache mais je l'ai surpris plusieurs fois. Je voudrais lui en parler mais ne sais quoi lui dire...
On peut, on doit parler alcool avec un collègue en difficulté, mais pas pour faire la morale. Si on peut lier l'intérêt qu'on a alors pour sa santé fragilisée et que cela peut faire écho à des difficultés dans son travail qui font écho chez moi (parce que ses difficultés sont peut-être aussi le miennes ou vont le devenir) on peut être entendu. Au début ces sont "les athlètes du travail" qui boivent pour tenir, comme d'autres prennent des psychotropes. Il nous faut savoir parler avec les collègues, nos pairs, de ce qui fait difficulté concrètement dans notre travail, pour y trouver des issues communes.
Rien n'autorise à dire que les conditions de travail sont moins pénibles qu'autrefois

Apple : La souffrance des cadres: un phénomène de société ou un concept fourre tout pour les médias?
Je ne crois pas du tout qu'il y a plus de souffrance au travail chez les cadres. Ils font d'ailleurs moins d'infarctus que les ouvriers et employés. Les cadres ont souvent plus de contraintes, mais ce qui compte pour en apprécier l'aspect potentiellement délétère, ce sont, les marges de manœuvre, le soutien social, la reconnaissance dont on dispose. Sur tous ces items, les cadres sont mieux lotis, et c'est tant mieux pour eux.

Alex
: Les travailleurs souffrent-ils plus quand ils sont dans un open space ou un bureau isolé?
Ni l'un ni l'autre. Ce qui est déterminant, c'est de savoir et pouvoir représenter dans quelle histoire professionnelle je m'inscris, quelles marques et traces je laisse, dans quelle dynamique de coopération je peux travailler etc. Si les open-space sont la négation de tout cela, si travailler ne s'apprécie que parce que les autres me voient travailler, s'il n'y a pas d'espace de respiration dans mon travail, si travailler devient seulement le signe de ma capacité solitaire à affronter l'adversité, alors oui, la logique des open-space est délétère comme négation du fait que travailler c'est faire avec autrui. Tout cela inscrit dans une histoire humaine professionnelle où les hommes et les femmes ne sont pas interchangeables, image véhiculée par les open-space.

Tanganika : Quelle proportion de Français souffre réellement au travail ?
Cela dépend de ce qui est pris comme indicateur, mais on peut estimer que 20 à 30% des français (un peu plus de femmes) sont en souffrance ou présente un mal-être en rapport avec leurs conditions de travail, sous l'angle de l'organisation du travail et des rapports sociaux.

Edwige : Que pensez-vous de toutes ces méthodes de management qui pullulent comme le coaching etc.... Le culte de soi et de la performance ne va t'il pas trop loin?
Le plus grand mal. On est du côté de l'instrumentalisation, on est agit par d'autres, on rentre dans la véritable aliénation, car on accepterait consciemment de donner son corps et son âme à son entreprise. Il y a aussi derrière tout cela un renforcement de l'individualisation dans le travail qui est à la base du management aujourd'hui, ce qui revient à nier le fait que travailler c'est coopérer. C'est terrifiant, car ces instigateurs perdent eux-mêmes la capacité de comprendre les dynamiques de l'effondrement du travail. Je suis évidemment partisan d'une prévention "compréhensive" et non comportementale, car si on peut alors différer les conséquences de nos maux et souffrances, elles reviennent par la fenêtre.

Xav : Ce dont manquent le plus les gens, n'est-ce pas d'un peu de considération tout simplement dans leur travail?
Oui, si on parle reconnaissance symbolique de la contribution, d’être regardé pour ce qu'on fait concrètement et réellement, la façon dont on subvertit les difficultés, la façon dont on réalise ce qui n'est justement pas prévu par les meilleures organisations du travail, ce qui justement fait l'intérêt du travail.

Nadia : Que pouvez-vous vraiment faire contre la souffrance au travail? De quels moyens concrets disposez-vous?
Pour ma part, je n'ai que les moyens d'un médecin du travail ordinaire, un peu médiatique aujourd'hui. L'alternative n'est pas dans la gestion du stress ou comportementale. Je pense qu'il faut permettre aux personnes particulièrement en difficulté de pouvoir réinterroger les organisations du travail qui les ont maltraitées pour éviter les effets d'enkystement de ce qu'on n'arrive pas à penser. Mais au quotidien, il faut pouvoir réhabiliter le débat, les controverses sur le travail et sur ce qui y fait concrètement difficulté, de telle façon que les organisations du travail réelles soient le reflet de ce qu'en discutent les travailleurs eux-mêmes, qu'elles soient à leur service pour leur permettre de "contribuer" dans un sens favorable à la construction de leur santé et de leur citoyenneté.

Socket : Souffrir au travail, n'est-ce pas le lot de tous. Par définition, le travail est une contrainte, non ?
C'est le point le plus discutable et qui explique qu'il n'y a pas de débat politique au sens de vie dans la cité sur cette question. L'adage judéo-chrétien "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front", ou l'héritage d'un marxisme de cuisine pour lequel que le travail ne peut être qu'aliénation ne nous aide pas à investiguer la question du travail. Non, tout n'est pas donné d'avance par ces organisations du travail inhumaines qui ignorent que travailler, c'est coopérer avec autrui, que c'est un espace de construction de lien social et de citoyenneté, qu'il n'y a pas de fatalité à devoir subir. Si travailler, c'est pouvoir "contribuer" sous le regard d'autrui, ceci inscrit dans une histoire humaine. L'espace du "travailler", son économie, est alors un pied tout aussi indispensable pour la construction de notre santé, que l'économie du désir, notre vie affective. Je pense qu'on peut construire sa santé au travail. L'aliénation, c'est la désolation et l'abandon de la possibilité même de vie dans la cité. C'est dire les enjeux pour ce débat qui n'arrive pas à avoir lieu !

jeannine75 : J'ai été mise au placard à 58 ans... depuis je vis une grave dépression. La seule solution qu'on me propose est de me mettre en maladie longue durée... Que me conseillez-vous?
Comme vous le savez, on n’en peut pas faire de médecine par internet. Il va vous falloir articuler deux préoccupations dont vous seule tenez les clés: ne pas abandonner l'idée ou devoir réparer ce qui vous parait injuste du point de vue de votre travail, à tout le moins ne pas devenir victime du fait que ce serait vous qui aurait failli alors que c'est un système qui vous broie. Mais aussi de savoir vous protéger, de retrouver un savoir-faire de prudence, de protection, car parfois, on devient soi-même victime de sa soif de justice face aux injustices rencontrées et on n'arrive plus à se protéger. Tenir sur l'essentiel sans tomber dans les pièges de l'aliénation, ou de la victimisation. Alors parfois les mises en invalidité peuvent être une issue si cela permet de vous restaurer. Mais c'est vous qui trouverez la réponse quand vous aurez l'impression d'être ou non aux commandes de votre destinée. Bon courge pour cela.

Pat : Et les grand patrons eux, ils ne dépriment pas trop au boulot?
Une des défenses de certains cadres, confrontés au pouvoir de faire ce qu'ils réprouveraient au vu des valeurs (famille et amours), c'est de cliver le monde. Dans le monde du travail, ils peuvent alors transformer le mal en bien, d'où toutes les distorsions de la communication et les mensonges qu'ils peuvent faire allègrement avaler avec d'autant moins de difficulté qu'ils arrivent à s'en persuader eux-mêmes. C'est de l'aliénation culturelle. Les sectes ne fonctionnent pas différemment. Je ne les envie pas, même s'ils pensent être en bonne santé. Mais c'est le propre de l'aliénation de l'ignorer !!!!!!!!

Alex : La solution contre la souffrance : démissionner, prendre sur soi, faire des stages de gestion du stress?
Recouvrer son pouvoir d'agir, avec les autres, ses collègues, réacquérir une capacité de penser les maux qui nous broie. La gestion du stress est une invention d'auditeurs d'entreprise en conflits d'intérêts pour dispenser à leurs commanditaires de réinterroger leurs propres organisations du travail.
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Mercredi 1 Octobre 2008 - 10:27
Marie Morizot - metrofrance.com

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